I - L’AMIANTE ET SES USAGES INDUSTRIELS
L’amiante est un matériau naturel qui englobe plusieurs variétés de fibres minérales, dont les propriétés mécaniques, physiques et chimiques, ont conduit, dès la fin du siècle dernier, à de nombreux usages dans l’industrie et le bâtiment notamment.
L’industrie de l’amiante remonte à 1880 environ, date des premières exploitations de grands gisements canadiens et russes. L’essor sera donné par les industries textiles françaises et anglaises qui produisent des tissus incombustibles.
La nature fibreuse de l’amiante et sa résistance à la chaleur et à la traction, se prêtent à la réalisation de fils, tresses, cordons et textiles isolants. Mélangées à une résine synthétique, les fibres permettent la fabrication de garnitures de freins ; incorporées à du papier, du carton ou du caoutchouc, elles constituent des filtres pour piéger des aérosols, des plaques d’isolation ou des joints d’étanchéité résistant à la chaleur.
L’usage le plus important a consisté en la réalisation de plaques et canalisations en fibrociment (95% de l’amiante mise en œuvre en France) et de dalles plastiques pour les revêtements de sol.
La fibre d’amiante confère en effet au ciment une résistance et une souplesse qui permettent la réalisation de plaques (ondulées ou non) et de conduits d’épaisseurs relativement faibles. Mélangées à un liant projeté sous pression les fibres d’amiante ont aussi été utilisées dans le bâtiment pour réaliser différents calorifugeages ou "flocages" en revêtement de diverses surfaces (structures métalliques porteuses, murs, plafonds).
L’industrie de l’amiante a entraîné une exposition, par inhalation, des salariés qui assuraient l’exploitation des gisements, la préparation des matières de base, la manipulation et l’installation des différents produits industrialisés.
La large utilisation de l’amiante dans le bâtiment a eu pour effet, en plus de l’exposition directe des ouvriers lors des chantiers, de provoquer une exposition indirecte d’autres salariés et de personnes du public.
Le procédé de flocage a été interdit en France en juin 1977.
De 1945 à 1974, la consommation d’amiante n’a pratiquement pas cessé de croître, en passant d’environ 10 000 à près de 180 000 tonnes par an, avant de décroître pour atteindre environ 35 000 tonnes en 1992-1994.
Il ne semble pas que l’interdiction du flocage des locaux, intervenue en 1977/78, ait joué un rôle important dans la réduction progressive du tonnage d’amiante importé.
II - LES DANGERS DE L’AMIANTE
2.1. La mise en évidence des nuisances provoquées par l’amiante. En Grande Bretagne, les dangers de l’amiante ont été débattus très tôt ; la première réglementation remonte à 1931.
La fixation d’une première valeur moyenne de concentration en fibres d’amiante dans l’air (2 fibres par cm3) date de 1969.
De manière inattendue, les premières actions contre l’amiante ont été conduites en Grande Bretagne par des locataires qui luttaient contre la pollution des logements par l’amiante (People’s Asbestos Action Campain).
De nombreux logements sociaux ont été construits dans les années 60 avec des matériaux à base d’amiante.
Ces matériaux se désagrègent lentement et polluent l’atmosphère. Des études épidémiologiques sont alors conduites auprès des salariés qui ont participé à la construction de ces logements.
Aux Etats Unis, la suspicion du pouvoir cancérogène de l’amiante (cancer bronchique associé à une asbestose) s’exprime dès 1935.
Plusieurs autres cas de cancers broncho-pulmonaires sont rapportés, les années suivantes, aux Etats Unis mais également en Grande Bretagne, en Allemagne et en France (1941).
Mais ce n’est qu’en 1955 qu’une étude de DOLL en Angleterre, dans une usine textile d’amiante, apporte la preuve épidémiologique de cet effet. Elle est confirmée en 1964, puis en 1976, par le Pr SELIKOFF à New York, qui a réalisé une étude portant sur 17800 travailleurs américains et canadiens de l’isolation (659 décès par cancers broncho-pulmonaires observés pour 209,3 attendus).
Plus de 50 000 actions en justice sont engagées, par des travailleurs ou leurs familles, contre les compagnies qui ouvragent de l’amiante. Des municipalités se retournent contre les entreprises de l’amiante afin d’assurer le déflocage des locaux (écoles notamment).
En France, dès 1906, le Bulletin de l’Inspection du Travail, sous la signature de M. AURIBAULT (Inspecteur Départemental du Travail à Caen), décrivait les premiers cas mortels d’asbestose survenus parmi les travailleurs, après quelques années d’exposition dans l’usine de Condé-sur-Noireau créée en 1890, en Normandie (une cinquantaine de décès survenus entre 1890 et 1895).
Toutefois, la prise en compte réelle du "risque amiante" est bien plus tardive. Si les atteintes bénignes font l’objet en 1945 d’un tableau de maladie professionnelle, les premières préoccupations relatives aux cancers provoqués par l’amiante remontent à 1974/75.
Elles s’exprimeront à l’occasion d’une affaire banale de dépôt de bilan qui concerne, à Clermont-Ferrand, une entreprise de taille moyenne (271 salariés dont 200 femmes) : la Société AMISOL. Spécialisée dans la fabrication de textile d’amiante (fils, cordons, joints, tresses, bourrelets, gaines, bandes, rubans, tissus, etc.), la Société AMISOL, qui offrait à ses employés une sécurité d’un autre âge, préfère déposer le bilan plutôt que de remettre à niveau des ateliers délabrés.
Les salariés qui s’opposent à leur mise à pied occupent l’usine en décembre 1974. De manière fortuite, l’atteinte des premières victimes se manifeste durant l’occupation des ateliers et plusieurs salariés décèdent (12 décès durant les 31 mois d’occupation d’usine).
Des recherches conduites ultérieurement par les salariés eux-mêmes montrèrent qu’en fait, il ne s’agissait pas des premières victimes, car d’autres décès, survenus auparavant, étaient également liés à l’exposition à l’amiante.
Nous devons l’émergence du problème "cancer" et sa visibilité sociale au Collectif Jussieu qui a travaillé en liaison avec les travailleurs d’AMISOL. Toutefois, cela ne suffira pas pour imposer, de manière réglementaire, des règles de prévention ou pour élargir le champ de la réparation.
Il faudra attendre l’action d’un collectif intersyndical de chercheurs et universitaires de Jussieu (CFDT, CGT, FEN) qui ont engagé une vigoureuse action en 1975 contre le flocage à l’amiante de très nombreux locaux de l’Université parisienne, et la campagne lancée par la revue de consommateurs "Que choisir ?" sur le thème de "l’amiante dans le vin", pour que les pouvoirs publics et l’Industrie de l’amiante se mettent en quête de solutions.
La réglementation va alors évoluer, tant en matière de prévention que de reconnaissance des maladies professionnelles.
Cet ensemble d’événements suscitera progressivement des actions d’information, de formation et de dépistage de pathologies pulmonaires auprès des travailleurs exposés professionnellement.
C’est ainsi que, par exemple, dans le cadre d’un dépistage de l’asbestose, portant sur l’ensemble des personnels des centrales thermiques de l’EDF, l’examen de 8240 clichés radiographiques pulmonaires effectués entre 1976 et 1980 a mis en évidence, pour 5% d’entre eux, une atteinte du tissu pulmonaire ou de la plèvre en rapport avec l’amiante.
2.2. Les effets de l’amiante sur l’appareil respiratoire.
Les fibres d’amiante présentent des dangers qui varient avec le groupe (serpentine ou amphibole) auquel elles appartiennent.
Suivant le mécanisme en cause, ces fibres entraînent des dysfonctionnements cellulaires différents.
Les fibroses
Elles résultent du dérèglement fonctionnel de certaines cellules appelées "fibroblastes".
- au niveau du poumon, la fibrose s’appelle aussi asbestose.
Cette appellation vient du nom "asbeste" (du grec asbestos - inextinguible - et du latin asbestes - minéral incombustible - amiante) qui est un silicate amphibole, fibreux, dont l’amiante est la variété la plus pure.
Il est à l’origine du nom de deux villes importantes par leurs mines d’amiante : Asbest dans l’Oural, en Russie et Asbestos dans le Québec au Canada.
Le délai d’apparition de l’asbestose est long (15 à 20 ans en moyenne). Son évolution est lente mais irréversible. Le dépistage associe à l’examen clinique des examens fonctionnels respiratoires (EFR) et des radiographies pulmonaires.
Les EFR permettent de déceler les troubles respiratoires et les anomalies d’échanges gazeux au niveau des alvéoles. Les radiographies pulmonaires doivent être lues par des spécialistes entraînés, car les signes de fibrose débutante sont discrets et 20% environ des asbestoses peuvent être invisibles par radiographie et révélées par des EFR.
Cette fibrose pulmonaire réduit la capacité du poumon à assurer une oxygénation correcte de l’organisme et entraîne une surcharge cardiaque :
au niveau de la plèvre, cette fibrose va provoquer un épaississement des feuillets ou, par endroits, des zones calcifiées appelées "plaques pleurales".
Les cancers
L’action cancérigène de tous les types d’amiante concerne deux types de cellules :
les cellules du revêtement des bronches (cellules épithéliales), et on parle de cancer bronchique ou de cancer du poumon ;
les cellules du revêtement des deux feuillets de la plèvre. Le cancer ainsi provoqué, qui est une affection rare, s’appelle "mésothéliome".
Ce type de cancer peut aussi se développer au niveau d’une enveloppe, de même nature que le feuillet de la plèvre, le péritoine, qui tapisse les parois intérieures de la cavité abdominale, ou au niveau de la membrane qui enveloppe le coeur.
La forme physique des fibres minérales d’amiante fait qu’elles présentent des difficultés pour migrer au travers des vaisseaux sanguins et lymphatiques.
Il en résulte une rétention dans les enveloppes séreuses (plèvre, péritoine). Cette difficulté d’élimination augmente l’effet toxique de la fibre.
Dès 1948, des formes pleurales (15%) étaient mises en évidence parmi les cancers provoqués par l’amiante. C’est également le Pr SELIKOFF, à New-York, qui, en 1965, découvre, sur une série de 2500 cas d’autopsies, 26 cas d’asbestoses dont 4 avec mésothéliome pleural et 3 avec mésothéliome péritonéal. En 1976, dans son étude américano-canadienne, il met en évidence 36 mésothéliomes pleuraux et 67 péritonéaux.
La manifestation de ce type de cancer est très tardive ; la médiane des temps de latence (temps au bout duquel la moitié des affections se sont exprimées) est d’environ 35 ans.
2.3. Les travaux susceptibles d’entraîner une exposition à l’amiante.
Le nombre de salariés qui ont été exposés à l’amiante est probablement important et on évalue, de manière non exhaustive, à environ 3000 le nombre des différentes utilisations de l’amiante.
Une liste des "travaux types" susceptibles d’entraîner une exposition à l’amiante a été publiée en France en 1994. Nous l’avons reprise en la complétant par plusieurs exemples concrets d’utilisations.
1. Extraction ou traitement du minerai.
2. Manutention (stockage, transport, déchargement, ...) ou utilisation d’amiante en vrac ou de matériaux contenant de l’amiante comme des enduits de rebouchage ou de lissage, des pâtes ciment-amiante utilisées comme "chevilles", etc.
3. Fabrication d’objets avec de l’amiante : fibrociment, garnitures de freins, coque plastique de batterie automobile, filtres, textiles amiantés, calorifuges, joints, tresses, revêtements de sols, etc.
4. Flocage de plafonds, de structures métalliques, de parois, etc, en vue d’un isolement thermique ou phonique, mais surtout d’une protection contre le feu.
5. Intervention (pose, dépose, entretien) sur des isolations autour de sources de chaleur fixes (fours domestiques, de laboratoires ou industriels, tuyaux, chaudières, turbines, ...).
6. Intervention (usinage, entretien, pose, dépose, réparation, ...) sur des produits manufacturés contenant de l’amiante tels que plaques de fibrociment, garnitures de freins, filtres, gaines de câbles électriques floquées, matériel d’isolation thermique ou acoustique, etc.
7. Interventions, sur des bâtiments contenant des matériaux en amiante (flocage, faux-plafonds, simili-ardoise, panneaux et tuyaux en fibrociment, ...), telles que meulage, perçage, pose ou retrait de câbles, ponçage d’enduits, etc. Exposition passive à proximité d’un poste occasionnant une pollution.
8. Démolition non spécifique incluant des matériaux à base d’amiante.
9. Protection individuelle contre la chaleur (vêtements, gants, heaumes), les aérosols (masques à cartouche de papier amianté,...).
10. Protection du poste contre la chaleur ou les chocs thermiques par un accessoire utilisé comme instrument de travail (Ex. : plaques d’amiante des soudeurs et oxycoupeurs, des joailliers, des orfèvres, des verriers, des plombiers-tuyauteurs, tables à repasser des blanchisseuses, etc.).
11. Exposition indirecte par intervention sur des machines contenant des pièces en amiante (joints d’étanchéité, filtres, joints de dilatation dans la sidérurgie, etc).
12. Exposition passive liée à la dégradation de matériaux en amiante (flocage, rideau, air passant au travers de filtre d’amiante, etc.).
13. Manutention d’objets en amiante (stockage, transport, déchargement, ...) ou de vêtements de travail souillés par des fibres d’amiante (laveries industrielles).
14. Nettoyage industriel (au moyen de machines tournantes) des revêtements de sols constitués de plastiques renforcés en fibres d’amiante ("DALAMI").
Certaines opérations comme, par exemple, le découpage et le chanfreinage des plaques d’amiante-ciment à la disqueuse, ou le nettoyage à l’air comprimé des freins à disques ou à tambour (le "coup de soufflette" des garagistes) peuvent conduire, en des délais très brefs, à des "pics" d’exposition très importants associés à des contaminations significatives des locaux et vêtements de travail par des fibres d’amiante.
Il faut également souligner les contaminations domestiques et familiales dues au réemploi, par les salariés des entreprises transformatrices de l’amiante, des sacs de coton, de jute ou de plastique ayant contenu de l’amiante en vrac.
Il nous a même été signalé la confection de "couches" pour bébés réalisées à partir de sac de coton ayant renfermé de l’amiante en vrac, et le mésothéliome d’une coiffeuse qui avait pour clientes les ouvrières d’une usine à Pontault-Combault.
Il serait très utile de disposer de chiffres détaillés, département par département, afin de mieux cerner les zones à risques, telles que les chantiers navals, l’industrie métallurgique ou les usines dans lesquelles l’amiante était la matière ouvragée principale (usines d’amiante-ciment, de garnitures de freins, d’embrayages, de matières plastiques à mouler, etc....).
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