Y a-t-il des limites à l’arrogance des responsables d’un crime industriel qui a endeuillé des centaines de familles ouvrières ?
Condamnée pour faute inexcusable de l’employeur, Eternit (dénommée aujourd’hui ECCF) a demandé à la cour d’appel administrative de Versailles que le prix de ses fautes lui soit remboursé par l’État.
La même semaine, sur plainte de son ex-employeur, le président d’une association de victimes, ancien d’Eternit, est convoqué avec 6 de ses collègues par une juge d’instruction de Versailles pour être mis en examen !
La faute de l’employeur aux frais des contribuables
Un ancien salarié du site Eternit de Saint-Grégoire près de Rennes avait travaillé pendant des années dans des nuages de poussières d’amiante sans être ni informé du danger ni protégé contre ces poussières mortelles. Il était préposé aux broyeurs de déchets secs. Il est mort d’un mésothéliome le 16 juin 2005. Il avait 51 ans.
Le 19 octobre 2011, la Cour d’appel de Rennes a reconnu définitivement la faute inexcusable de l’employeur et condamné la société à indemniser les ayants droit de la victime de leurs préjudices et de ceux du défunt. L’employeur s’est alors retourné contre l’Etat pour mettre le prix de ses fautes à la charge des contribuables, en demandant 160 000 euros pour les indemnités qu’il avait versées à la caisse primaire et 10 000 euros au titre de son « préjudice moral »
Par un jugement du 6 novembre 2014, le tribunal administratif lui avait donné gain de cause. Ce jugement avait suscité l’incompréhension et la colère des victimes de l’amiante indignées.
L’affaire est revenue ce matin devant la Cour d’appel de Versailles. L’Andeva et la veuve du défunt sont intervenus à la procédure. Le rapporteur public a considéré que ces interventions étaient recevables.
Le rapporteur public a rappelé que pour les CMN de Cherbourg, le Conseil d’Etat avait mis une partie de l’indemnisation à la charge de l’Etat pour la période antérieure à 1977 et pour un tiers de la somme. Mais il a souligné qu’Eternit, dont l’amiante était la matière première, avait commis une faute d’une particulière gravité avant et après 1977.
Maître Quinquis, du cabinet Ledoux, avocat de l’Andeva et de la veuve, avait détaillé les conditions de travail effroyables des salariés et rappelé les pressions de cette société sur les pouvoirs publics pour retarder avec succès l’interdiction de l’amiante. La Cour administrative d’appel de Versailles rendra sa décision dans quelques semaines.
Les victimes mises en examen
Jean-François Borde, ancien ouvrier d’Eternit, est le président du Caper Bourgogne, une association qui a pris en charge les dossiers de 135 victimes d’Eternit Vitry-en-Charollais décédées de l’amiante. Le 14 avril, il devra répondre à la convocation d’une juge d’instruction de Versailles pour être mis en examen, comme six de ses collègues syndicalistes CGT, suite à une plainte d’Eternit pour des faits survenus au siège de la société en 2011 !
Une action syndicale était alors engagée suite au blocage des négociations sur les salaires et au licenciement d’un élu CGT. Au même moment, l’association se mobilisait contre l’ouverture à Vitry-en-Charollais d’une décharge destinée à devenir le dépotoir national de l’un des principaux producteurs de déchets d’amiante.
L’association a eu gain de cause sur la décharge : la justice administrative a annulé l’autorisation abusivement accordée par les autorités. Mais l’employeur, qui n’avait pas admis que les locaux du siège soient visités, a porté plainte.
Avec un bel acharnement – 5 ans après les faits ! – ses avocats sont intervenus auprès de la juge d’instruction qui allait clore le dossier pour réclamer des mises en examen. La juge les a suivis.
Le procès pénal retardé d’un an Eternit a été condamné plusieurs centaines de fois pour faute inexcusable de l’employeur. Plusieurs responsables ont été mis en examen au pénal. On a appris en début d’année que la clôture de l’instruction de leur dossier - qui dure depuis près de 20 ans ! – venait d’être repoussée d’un an suite à expertise judiciaire sur… les effets de l’amiante sur la santé !
Les victimes et les familles endeuillées par l’amiante d’Eternit se demandent où est la justice. Jean-Paul Teissonnière, avocat de Jean-François Borde et des syndicalistes CGT, dénonce un scandale judiciaire qui s’ajoute au scandale industriel et sanitaire causé par le lobby de l’amiante.
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